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Guy Deslauriers:
Nous sommes dedans et dehors

Propos recueillis par Tony DELSHAM

ANTILLA, l'hebdo de la Martinique - Septembre 2006

Guy lauriers
Photo Gérard Dorwling Carter © matinikphoto.com
Guy Deslauriers est réalisateur de courts métrages et de documentaires. On lui doit notamment Le Roi Béhanzin, Le Passage du Milieu et Biguine. Comme toute production antillaise qu’elle soit cinématographique ou autre la grande faiblesse est évidemment le manque de moyens. Questions réponses avec un réalisateur qui en veut.

Etre producteur dans le système français c’est galère, quand en plus on n’est pas blanc, qu’est-ce qui se passe?

Guy DESLAURIERS: Pour nous producteurs de l’Outre-mer c’est encore plus compliqué. Si je peux résumer la situation, je dirai que nous sommes dedans et dehors. Dedans parce que considérés comme français nous devrions avoir le même traitement que celui réservé aux réalisateurs et producteurs français de France et dehors parce que dans et à cette réalité française nous proposons des projets et abordons des sujets qui sont différents, qui sortent du quotidien et de l’ordinaire de ce que les producteurs français ont l’habitude de présenter. Nous avons des histoires qui souvent dérangent et qui ne passent pas au niveau des comités nationaux, du Centre National du Cinéma, des chaînes de télévision et autres services publics. Sortis des aides locales et régionales que nous pouvons obtenir, nous sommes coincés, nous n’avons pas d’autres financements, contrairement aux producteurs français qui peuvent eux compter sur ces aides nationales et même sur des aides européennes.

Doit-on alors abandonner nos projets? Moi, je pense que non. C’est dans ces conditions qu’il nous faut faire preuve d’inventivité, d’originalité et de ne surtout pas avoir peur d’explorer de nouvelles voies ainsi que de nouveaux modes de narration qui peuvent surprendre mais qui peuvent aussi apporter une énergie nouvelle à l’expression cinématographique. Il me semble que c’est surtout dans ces conditions que nous devons créer et ce, dans un esprit de liberté. Car en fin de compte il y a une évidence, c’est que ce que nous reprochent les décideurs de l’autre côté de l’Atlantique, c’est de porter notre propre regard sur des histoires et/ou des personnages qui sont nôtres, et que eux ne connaissent pas. Ce que ces gens ne comprennent pas c’est que nous ne voulons pas nous enfermer dans notre culture mais simplement la faire partager en espérant qu’elle enrichisse l’autre et lui permette éventrer avec nous dans une vraie relation échanges. Aussi pour garder cet esprit de liberté et ne pas tomber dans les travers d' une création atavique que ces décideurs espèrent de nous, il m’est arrivé de lancer une production avec seulement 30 % du budget réuni. Des conditions qu’aurait fui n’importe n’importe quel producteur français.

Si vous réussissez à boucler vot re budget avec des fonds privés, par exemple, et que vous ne devez rien à personne, avez-vous pour autant gagné le combat?

Dans ces conditions j’aurai effectivement gagné le combat de la production pour ce projet. Mais reste à gagner le combat de la distribution. C’est une autre paire de manche parce à ce stade aussi il faut réunir d'énormes moyens financiers afin de bien communiquer et bien vendre son film.

L’obstacle pour la production est le sujet qui dérange, quel est l’obstacle dérange, quel est l’obstacle pour la distribution?

Il est quasiment le même. Nous devons négocier avec des propriétaires de salles à qui nos œuvres ne parlent pas d’avantage qu’à ceux qui étaient en amont et qui avaient la charge de lire nos projets pour décider d’un financement ou non. A ce stade aussi l’énergie à déployer est considérable. Il y a des distributeurs qui ont vu Biguine et qui ont dit: cela ne fera pas un spectateur. Que des distributeurs ou exploitants français disent cela, ça ne me choque presque plus puisque je sais qu’ils sont dans une logique de cinéma de mode et de cinéma formaté, plus généralement appelé cinéma de narration. Par contre, que ce discours nous soit tenu par des distributeurs de chez nous et que ces derniers mettent un an avant de se décider à programmer un film comme Biguine, ce qu’ils font presque avec mépris, cela m’est insupportable.

Peut-on parler d’un souci bêtement commercial où des professionnels estiment que le marché n’existe pas, ou alors d’un refus de la diversité?

Nous sommes confrontés à des structures et des mentalités qui refusent d’assumer une France différente. Ce problème pourrait être résolu, si nous avions le soutien de nos élus politiques. Car à ce niveau-là, c’est un problème politique. Nous avons besoin d’élus qui montent aux créneaux pour défendre l’existence d’un cinéma et d’une télévision différents. Monter aux créneaux, exiger que France Télévisions arrête de nous demander de payer la redevance en nous balançant des programmes dans lesquels nous ne nous retrouvons pas, des programmes qui ne tiennent absolument pas compte de ce que nous sommes et de ce que nous avons envie de voir et qui ne sont évidemment pas faits par des réalisateurs et des acteurs de chez nous. C’est également valable pour Canal +. Qui se contente de déverser chaque année des milliers d’heures de programmes dans ces régions d’outre-mer, lesquelles finalement financent de manière substantielle cette chaîne privée sans que cette dernière ne réinvestisse le moindre centime dans la moindre production cinématographique de ces mêmes régions. Aussi bien pour les chaînes de service publique que pour les chaînes privées, on demande aux gens de payer en ne leur laissant qu’un seul droit en retour, celui de d’avaler jour après jour des heures de programmes indigestes et navrants et désolants lorsqu’ils ne sont pas insultants. Nous ne sommes que quelques réalisateurs et producteurs pour l’ensemble de l’outre-mer et nous ne faisons pas le poids face à de telles structures, sauf à appeler au boycott et à la désobéissance; dès lors, il me semble que nos hommes politiques ont à jouer là, un rôle déterminant.

Finalement après tant de portes claquées au nez, peut-on parler de racisme?

Je crois qu’il y a une part de racisme. Importante. Et c’est compliqué. La France revendique être le pays des droits de l’homme, pays qui ne prône pas la différence entre les races ni la valeur de celles-ci et dans lequel officiellement le racisme n’existe pas. Mais c’est au quotidien que l’on se rend véritablement compte des problèmes pas seulement lorsque comme moi on est réalisateur et producteur, mais tout simplement lorsqu’on est à la recherche d’un travail où d’un logement. C’est ce même racisme que l’on retrouve lorsqu’il s’agit de traiter des sujets qui nous sont propres. Je suis d’accord que nos sujets dérangent ceux qui n’ont aucune connaissance de notre histoire, car il est vrai que l’esclavage n’a pas été pratiqué sur le propre sol français sous les yeux des français, ni que ces derniers n’aient eu au quotidien, la réalité et les effets du colonialisme, comme cela a été le cas aux Etats-Unis par exemple. Ces réalités différentes ont généré des situations dis tinctes dans ces deux pays. Il me semble, concernant la France, qu’il devrait y avoir une autorité qui parle et qui dise: «voilà notre situation, nous avons un problème avec cette part-là de notre histoire et nous ne sommes pas en mesure d'en assumer sa réalité...

On n’a jamais autant parlé des noirs que ces derniers temps. Etes-vous confronté à une question noire?

Oui, il y a actuellement un malaise en France parce qu’il y a une communauté noire importante. Mais, elle n’est pas unique. Elle est, d’une part africaine, d’autre part de l’Outre-mer. Et Il y a là problème parce qu’il y a de la part des français de France, un amalgame. Or, tous ces noirs n’ont pas la même réalité. La mienne en tant que producteur et réalisateur de l’Outre-mer, est de constater qu’il y a un seul fonds qui nous est destiné et qu’il est doté de sept cent cinquante mille euros par an. En face, pour les autres (cinéastes et producteurs d’Afrique et de d’autres régions lointaines), il y un dispositif de plusieurs fonds cumulables que sont: l’Agence de la Francophonie, le Ministère des Affaires Etrangères, le Fond Sud, etc. totalisant dix huit millions d’euros par an. En outre, un cinéaste africain peut directement de son pays, actionner des financements prévus par Le Fonds Européen de Développement. Nous, nous ne pouvons pas faire cela. On nous dit français et en même temps on nous donne 24 fois moins de moyens que ceux mis à disposition des cinéastes et producteurs non français venant travailler en France. Encore une fois nos seules sources de financement, qui restent très largement insuffisantes car le Conseil Régional et le Conseil Général ne peuvent se substituer à l’ensemble du dispositif des financements du cinéma en France, sont celles obtenues sur place en Martinique.

Le CRAN, une association qui, dit-on, a les faveurs du gouvernement, regroupe Africains et Antillais. Etes-vous pour?

Non, cela ne peut pas marcher et il y a là, quelque chose de dangereux qui fait le jeu d’un certain nombre d’hommes politiques français qui font tout pour que cette présence noire en France, n’ait qu’une existence transparente. Faire l’amalgame entre ces peuples que l’histoire a séparé et dont les valeurs, l’identité et la réalité sont aujourd’hui différentes est tout simplement irresponsable et scandaleux. A un moment, cela va péter. Il faut, certes que la France prenne en considération la présence de l’Afrique sur son territoire en tenant compte des liens historiques qu’elle a avec ce continent, mais il faut également qu’elle réalise qu’il y a plus d’un million de Français d’Outre-mer en France qui ne sont pas dans la même réalité que celles des africains et dont les attentes sont complètement différentes.

Guy Deslauriers

S’est enclenché récemment une polémique assez musclé entre un journaliste du Nouvel Observateur Raphaël Confiant, Serge Bilé et Claude Ribbe. A votre avis, y aura-t-il une influence sur le débat en France?

Je pense que si les conséquences ne se voient pas aujourd’hui, elles se verront demain. Il y a beaucoup d’instances et d’hommes politiques français complètement fermés à l’idée d’un monde divers et à la question difficile et délicate des populations étrangères vivant en France. Par ailleurs ce qui me semble aussi extrêmement dangereux c’est le fait que depuis quelques temps des journalistes utilisent le statut qui est le leur afin de se faire le relais de ces dérives et d’une désinformation souvent bien orchestrée. Ce problème posé il y a quelques semaines dans la presse à partir de la prise de position de Raphaël Confiant va, à mon avis, jeter l’huile sur le feu et rendre les temps qui viennent encore plus difficiles.

Un mot sur votre projet actuel?

Nous sommes sur l’Affaire Aliker, un projet de quatre millions d’euros. C’est un moment de notre histoire et c’est une histoire qui m’émeut beaucoup car ce n’est pas seulement une histoire des nègres contre les békés ou vice versa. C’est aussi et surtout un récit moderne à travers l’histoire d’un journaliste intransigeant et soucieux d’aller jusqu’au bout de ses idées et de ses idéaux quelque soit le prix. Ce que je trouve intéressant, c’est que, me semble-t- il, cette histoire a aujourd’hui, de part ce qu’est la réalité du journalisme, plus d’écho qu’elle n’en avait hier. Et cet écho ira s’amplifiant.

Vos documentaires et autres films sont tous signés Patrick Chamoiseau. Vous êtes packsés, ou quoi?

Non, mais entre Patrick Chamoiseau et moi, il y a une grande complicité. Il est très ouvert et c’est quelqu’un avec qui il est très agréable de travailler. Ce n’est pas seulement un scénariste, puisqu’il il s’implique à tous les niveaux de la production. Mais Patrick est aussi un très grand ami…

Propos recueillis par Tony DELSHAM

Biguine

FILMOGRAPHIE

1987: Quiproquo, Court-métrage.

1989: Les Oubliés de la Liberté, Moyen-métrage.

1993 : Sorciers, Documentaire de 52 minutes.

1994 : L’Exil du Roi Béhanzin, Long-métrage de 90 minutes

1995 : Femmes-Solitude, Documentaire 3 x 52 minutes.

1996 : Edouard Glissant – 1 Siècle d’Ecrivains, Documentaire de 52 minutes.

2000 : Passage du Milieu, Long-métrage, de 90 minutes.

2001 : La Tragédie de la Mangrove, Documentaire de 52 minutes.

2004 : Biguine, Long-métrage,de 90 minutes.

2006/2007: Aliker, Long-métrage en préparation.

Le passage du milieu

Viré monté